Allons!
(Charles Baudelaire)
Allons à la Banque! Nous avons en poche, 36 000
francs du Gabon (90$) et c’est impossible de payer en francs gabonais qui sont
des CFAO. Ici de sont des CFA. Il faut donc les
échanger. Mercredi matan, étant donné que monsieur est libre
jusqu’à 15 heures, l’activité du jour sera d’aller à la Banque, et elle se
trouve sur la rue Assane N’Doye à deux pas d’ici : Allons-y!
TOURÉ LE TAXIMAN ET LE BANQUIER
TOURÉ LE TAXIMAN ET LE BANQUIER
Dire « allons-y »
est chose simple. Le faire l’est beaucoup moins. Il y a toujours la
junte des « wallmarts ambulants » qui nous assaillent à tous les 10
pas et qui nous abordent : « Française? » jusqu’à l’invite
« à la fabrique là-bas ». Il y a aussi les Taximans qui
voudraient bien nous conduire quelque part. Mais c’est à la Banque
que nous allons et à pied.
Dès que j’ai mis
un pied en dehors du mur du Novotel, après l’offre de la carte orange, voici
qu’un taximan se pointe : Taxi? - Non merci, nous
marchons! Il insiste : – 3 000 francs pour 30 minutes,
et ça c’est à cause de madame. On refuse. Refuser n’est pas
simplement dire « non merci ». Il y a tout un baragouinage pour
expliquer le « non merci ». Heureusement que Miss Dakar a
dubagou. Ahhhh pi on se laisse gagner et change d’idée :
– Tu peux nous amener à la Banque? - Allez viens! Et le
taximan se dirige vers sa vielle baraque toute bosselée, au bord de la ruine et
qui jadis dans ses beaux jours était une Toyota. Mais elle avance encore.
D’abord les
présentations : Moi je suis TOURÉ et toi? - Je suis
Suzanne - Je suis André. Ahhhh madame Suzanne elle est vraiment
« torop » gentille, c’est pour ça que je fais bon prix.
Il m’ouvre la
porte, je prends place sur ce qui autrefois était un siège, mais réussis tout
de même à me faire une place. Il défends à monsieur d’ouvrir sa
porte : Attends! C’est lui qui ouvre la porte à
monsieur. Du service du genre, on en a plus du tout « au
pays ».
Nous voici donc en
route pour la Banque. Enfin, nous pensons que nous sommes en route vers
la Banque. Tourne à gauche, tourne à droite, passe la Place de
l’Indépendance, prends une grande rue et pi de petites rues, et pi nous nous
retrouvons dans un fouillis de bazar et petites « bitiks » (lire
boutiques), d’hôtels minables, de vendeuses de brochettes, et bricoles de tout
genre, bref, nous sommes très loin de la Banque « à deux pas du
Novotel ». Mais nous avons tout compris.
Le taximan
s’arrête, hèle un Sénégalais, lui explique en wolof ce que veulent les deux
blancs derrières. C’est Le Banquier! Le Banquier ouvre la porte du
taxi, prends place, ferme la porte. Ma parole c’est comme si nous étions
à faire un deal de dope? Et il dit : 10 000 francs c’est
7 500 francs, tu as combien? - 36 500 francs. Il sort sa
calculatrice, et nous montre le chiffre 27 000. Pour être bien
certain que le banquier sait compter, A. demande la calculette, refais le
calcul, et oui c’est bien 27 000. Comme nous n’avons pas le
choix : Marché conclu! 36 000 au Banquier et 27 000 aux
blancs. Et je donne le billet de 500 francs à TOURÉ qui le prend, le
bise, le porte sur son cœur et dit : Ahhh ça c’est
souvenir de Madame Suzanne. Décidément Miss Dakar semble bien aimée!
Le deal effectué,
nous demandons à TOURÉ de nous montrer où est l’hôtel Farid. C’est là que
R. habitera. R. c’est celui qui fera le contrat avec A. Il est
arrivé hier soir, A. veut lui laisser un message. En deux tours, trois
mouvements; 10 minutes plus tard TOURÉ nous débarque drette devant
la porte du Farid. Oh la la, disons que ce n’est pas ici que je
logerais. Juste voir la rue me fait peur et pi la réception encore plus,
il y a des odeurs qui me font fuir ce genre d’hôtel 3*. Mais R il veut
empocher et le Farid c’est beaucoup moins cher que le Novotel. Le message
écrit et donné au réceptionniste, nous allons manger.
- TOURÉ, on a
faim, tu connais un endroit où l’on peut manger un bon charwama? Aussitôt
dit, aussitôt fait : Touré nous débarque drette à la porte de La
Galette. Ça alors, j’avais lu sur Internet que ladite Galette
était incontournable. On y mangerait, selon les internautes qui y sont
allés, les meilleurs chawarmas de Dakar. Me voici donc à
commander 3 chawarmas et 2 cocas light. Hé oui, un pour le
taximan. 6 250 francs. – Vous êtes torop sympa que me dit le
Libanais qui semble de propriétaire. Et ils avaient bien raison les
internautes, un régal que la torop sympa déguste dans le Taxi de Touré.
Oupssss ça fait
plus de 30 minutes qu’il nous conduit. Et je lui dis que c’est certainement
l’heure de rentrer, sinon, la facture va monter. – Non non, c’est parce
que c’est madame, c’est toujours 3 000 francs. (cé pratique être la torop
sympa madame, ça coûte moins cher à monsieur, enfin concernant les tours en
taxi du moins…ha ha). –Touré, Tu peux
passer devant La Présidence? - Mais bien sûr et parce que c’est madame,
il n’y a pas de problème! Et passe devant La Présidence et ALLONS
à la maison et donne 4000francs à Touré.
IL FAUT AUSSI
TRAVAILLER
Aujourd’hui le
travail a commencé. Parce que depuis notre arrivée, monsieur n’a pas fait
grand chose que d’aller à deux rencontres, et ce à 15 heures
l’après-midi. Très content, il a quitté le Novotel ce matin 8 h
45. – Enfin je vais travailler dit-il. Alors c’est la
première journée solo à Dakar pour la torop sympa. Je n’ai pas
l’intention de rester planter dans ma chambre, où de faire de la chaise longue
jusqu’à 15 heures. Allons bravement faire un tour!
Première sortie
solo
Si je sors par la
porte principale, c’est le cauchemar quotidien, me faire harceler par la junte
du centre-ville. Je vois souvent les touristes sortir par la porte du
jardin et de la piscine; celle qui donne sur le boulevard de La
Corniche. Je décide donc de prendre ma marche matinale au bord de mer
pour en avoir fait un p’tit bout dimanche, je sais que c’est magnifique.
À plusieurs endroits, on se croirait sur la Côte D’Azur. Les
bougainvilliers sont en fleurs, et c’est tout à fait splendide! Allons
donc sur la côte d’azur dakaroise!
Je me dis que par
la gauche, j’aurai la paix et que je pourrai prendre des photos en paix
aussi. Je longe le trottoir, et soudain j’entends un gendarme qui
me fait de grands signes « Madame la canadienne, tu dois
aller-contresens des voitures, c’est plus sécuritaire ». – Merci, me
voilà donc en sécurité que je lui dis. – Ah mais je suis là pour
ça!
Et qu’est-ce que
j’entends? - Française? (Ah bin meeeeerde) Je réponds :
- Non Canadienne, et s’il vous plaît, je prends ma marche de santé tranquille!
Merci! Ouf! Il me laisse tranquille. Je ne fais pas 10 pas… -
Bonjour, c’est moi l’autre jour que tu as vu devant l’hôtel. Et oui, je
le reconnais, c’est PACO le petit vendeur d’artisanat, qui tient un kiosque
avec son oncle (dit-il), tout juste devant la porte de sortie du
boulevard. - Oui, oui, je te reconnais, tu vends des trucs fait
avec des ailes de papillons.
Mais lui, il est
vraiment charmant avec son grand sourire. Pas trop insistant ni
harcelant. Je sais bien qu’il veut aussi m’amener « à la
fabrique là-bas » (lire la crisssssse de fab.) il me l’a offert, le
premier jour, mais quand même, je ne lui dis pas de me ficher la paix. Je
lui raconte que « je suis Gabonaise » que l’Afrique « je
connais » et c’est ainsi que Paco m’accompagne, tout le long de mon heure
de marche.
Mais je n’échappe
pas à l’invitation : à un moment donné il veut monter l’escalier,
une vingtaine de marches, celles qui nous mènent à la Place
de l’Indépendance, parce qu’il y a une « exposition d’artisanat des femmes »
et que « ça se termine AUJOURD’HUI » et que je pourrai prendre de
belles photos. Il me fait penser au vendeur de chaussures chez-nous, plus
précisément chez Aldo qui disent tout le temps : - c’est la dernière paire
de cette pointure-là! –Non merci Paco, je ne vais nulle part ailleurs que
faire ma marche matinale et ça sera ainsi pendant deux mois. Les visites,
je les fais avec MONSIEUR. Je retourne à l’hôtel!
Avant de rentrer
dans « ma cage dorée », son oncle m’invite à entrer dans le
kiosque : - Juste pour le plaisir des yeux! Ah la la, je
connais la fameuse formule « juste pour le plaisir des yeux ».
Elle veut surtout dire que si tu mets un pieds dans la bitik, té foutu, c’est
juste pour le plaisir d’acheter. (Soupir) Qu’est-ce que je
fais? Je reste cimentée sur le trottoir et je regarde! Et je
dis : - Des bibelots en ébène, en bois rouge, en tek, j’en ai en
pagaille. Et je lui baragouine ma vie de bourlingueuse dans mon Afrique
chérie.
Marcel Proust
écrivait : « Le véritable voyage de découverte ne
consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux
yeux »
C’est ce que je
fais au Kiosque de Paco et son supposément oncle où je suis « juste pour
le plaisir des yeux ». Oh surprise, me voilà juste un
pied dedans à négocier deux figurines pour le mur de ma maison. Si
j’achète, il me laissera tranquille pour le reste du séjour? Mais
c’est aussi ce qu’elles représentent qui m’a donné de nouveaux yeux. Les deux figurines une masculine et l'autre féminine, ont une signification, dépendant de leur position: les deux face à face, c'est l'harmonie dans la maison. La féminine en haut et le masculin en bas, c'est la domination féminine dans la maison et vice versa si c'est le masculin en haut. Et les deux à dos, ça va pas du tout dans la maison. Je sais déjà la position dans la mienne. Devinez laquelle? « la torop gentille de Dakar » a son idée en tête!
Combien? 20
000 - ah non c’est torop cher! - tu donnes combien? Je
te donne 5 000 pas plus. Et là une inondation de palabres pour en venir
au prix final : - Allez ajoute 1000 parce que toi tu es torop
gentille. Je veux me débarrasser de ce « plaisir des yeux » et
je sors les 6 000.
TOROP et BITIK
Avez-vous remarqué
au fil du récit, j’écris souvent « torop » à la place de
trop? C’est qu’ils prononcent ainsi, en appuyant sur le
TO…rop. Vous m’entendez donc appuyer sur le To…rop moi itou! De
même pour « bitik » à mes oreilles, ça sonne ainsi quand on me parle
de boutique.
MADAME NON MERCI
Je vous ai dit que
j’allais à tous les jours au supermarché Casino, et qu’à tous les 10 pas, sors
de ma bouche : Non Merci! Des milliers de fois.
Hé bien voilà que plusieurs vendeurs ambulants m’appellent ainsi
maintenant : Bonjour madame non merci! Ou parfois c’est « celle
qui a un grand sourire » ou parfois c’est « la canadienne qui a un
grand sourire ». J’ai donc demandé à Paco comment on dit merci en
Wolof? Djere’Djeuf! La prochaine fois que j’affronte la junte de
vendeurs, je ne dis plus merci. Je parle Wolof maintenant. Enfin,
je sais UN mot. LE plus important!
A beau mentir qui
vient de loin
Je n’ai pas dit
« Non djeredjeuf » en prenant ma marche l’autre matan. Mariama
Thiam, couturière, tient une bitik en plein air juste au bord du boulevard
et vous voyez sur la photo, c’est vraiment très coloré.
Comme toujours,
voilà qu’une jolie robe bleue en batik me saute dessus. Je n’ai pas le
choix, je dois absooooooolument la porter pour aller à la piscine.
Après des
salutations, et les palabres habituelles, passons à la chose
sérieuse : Combien? - 10 000 - Ah mais tu sais
combien je paye au Gabon? - Tu es Gabonaise? - Oui j’habite à
Libreville et là-bas je paye 3 000. (A beau mentir qui vient de loin, je paye 4
500) – Allez donne 3 000 et comme tu es torop gentille, je te fais cadeau d’un
bracelet. Tu choisis. Et la menteuse de Libreville P.Q. choisi dans
le tas de toutes les couleurs, un joli bracelet noir jaune lime qui
va très bien avec sa jolie robe bleue.
Et c’est
ainsi que les jours passent et que ça fait une semaine que nous sommes à
Dakar. Nous aimons beaucoup! Et nous ne sommes pas les seuls.
Le Novotel fait de très bonnes affaires. À tous les jours débarquent d’un
gros BUS de Touristes, parfois des Allemands, des Français, des Belges, et des
je ne sais qui et qui ont un accent bizarre. Je les vois défilés comme
des chèvres, et je me dis que je serais incapable de faire des
« Tours Voyageurs ». Embarque et débarque d’hôtel en
hôtel? Non djeredjeuf!!! Monsieur et moi sommes torop
« sauvages » pour voyager en groupe.
Je préfère ma vie
d’Assistante Consultant et d’Ange Gardien de l’Expert. Nous vivons comme
« à la maison » de ville en ville de pays en pays. Et à chaque
place, toujours la même question : Vous avez visité ceci ou
cela? NON, nous ne sommes pas ici pour visiter. Nous ne sommes pas
des TOURISTES. MON MARI, il travaille et ne visite
pas.
J'ai mentionné un
cadeau reçu d'un vendeur ambulant, duquel nous avons acheté 4 tableaux pour les
"4 femmes de monsieur". Mon ami Paco m'en a appris un peu plus.
Ils sont fait avec du sable.
J'affirme que nous
ne sommes pas des touristes. Sauf peut-être un samedi, nous avons comme
projet de visiter l’Île de GORÉE. On dit que c’est LA place à
visiter : « un panorama superbe qui évoque étonnamment le charme
tranquille des villages méditerranéens ». Il ne m’en fallait pas
plus pour me convaincre de nous déguiser en touriste pour une journée. À
suivre.
Entre temps, nous
sommes très bien acclimatés. J’ai demandé à la ménagère de faire la
chambre tôt le matin, parce que je n’aime pas la voir en désordre quand
« je travaille ». Oui Oui je travaille pour écrire mes
carnets. Pendant que je travaille, Khadime me réserve ma place
spéciale à la piscine :
deux chaises, sous un parasol qui est sous deux palmiers et c’est la place la plus intime de ma salle de séjour. Et Paco m'attends pour marcher.
deux chaises, sous un parasol qui est sous deux palmiers et c’est la place la plus intime de ma salle de séjour. Et Paco m'attends pour marcher.
Que demande le
peuple? Comme le dit si bien mon amie Pauline.
Je vois que j’ai
assez travaillé. C’est l’heure de ma marche!
Et ce matin,
changement à ma routine, c’est un homme qui fait le ménage de la
chambre.